Le rapport sur la décentralisation (Eric Woerth, mai 2024)

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Ce rapport remis à Emmanuel Macron propose 51 propositions.

Il mérite d’être regardé de près par tous ceux qui pensent que les territoires sont une des clés d’un renouveau social et environnemental.

Ce rapport a l’ambition de s’attaquer aux difficultés de la décentralisation ( enchevêtrement des compétences, instabilité du financement, inflation normative, critique du « millefeuille », découragement des élus, déclin de la participation électoral) malgré la profusion de lois apparues depuis 20 ans (**) et ce, bien que, tant au sein de l’État que des collectivités territoriales, prévaut une forme de préférence pour le statu quo, par peur d’être « perdants ».

Le rapport écarte la proposition d’un grand soir de la décentralisation, car notre organisation territoriale existe déjà, et même si elle n’est pas optimum, l’intelligence des territoires a souvent su dépasser certaines mauvaises conceptions.
Nous demeurons aussi l’un des pays européens les moins décentralisés, attachés que nous sommes à la figure du préfet de département, représentant local de l’État unitaire et garant d’une forme d’égalité de tous sur le territoire.

Il faut donc partir de cette réalité là.

La suppression d’une strate n’est pas la solution

La France comprend trois échelons de collectivités territoriales, comme la plupart des grands pays européens : les communes, les départements et les régions, mais sa spécificité est dans l’émiettement communal : avec 34 935 communes en 2023, la France regroupe près de la moitié des communes européennes  ! Alors que les autres pays européens ont effectué des regroupements, nous avons créé les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il y a bien eu des tentatives de suppression d’une strate, mais elles ont échoué jusqu’à présent (3*), mais les menaces de suppression de telle ou telle strate ont conduit les collectivités territoriales à une « course à l’existence » par peur de leur disparition.

La seule mesure de réduction proposée par ce rapport est celle de 20% du nombre de conseillers municipaux – tout en maintenant le même nombre d’adjoints -, ce qui équivaudrait à la suppression de 100 000 mandats, une mesure destinée à “mieux identifier, mieux rémunérer, mieux protéger” les élus et à “rendre du pouvoir d’agir aux maires”.

Avoir une approche politique et non plus technique (qui a induit une dilution du pouvoir)

La décentralisation est avant tout un partage du pouvoir et donc des responsabilités politiques, entre l’échelon national et les élus locaux.

« [Elle] consiste à « descendre » au niveau local le pouvoir d’agir sur certaines politiques publiques, afin de permettre aux électeurs de décider de l’avenir de leur territoire. Il s’agit de faire coexister le pouvoir vertical de l’État, consubstantiel à l’histoire de notre République, avec le pouvoir horizontal des collectivités territoriales, pour faire vivre ensemble deux légitimités démocratiques. »

En fait nous sommes arrivés à une dilution du pouvoir : « des compétences qui se superposent, des financements croisés incessants, une volonté d’exister dans tous les domaines de la part des collectivités territoriales comme de l’État. C’est une sorte de puzzle à la française, qui induit de la lenteur, des loupés et une dispersion d’argent public. », et à une défiance entre les collectivités territoriales qui « réprimandent un État perçu comme tout puissant, technocratique, et qui chercherait à les affaiblir, alors que l’État fustige des collectivités territoriales jugées dispendieuse ».

Il faut d’abord promouvoir la confiance entre les citoyens et les collectivités territoiriales en organisant des services publics locaux de qualité, en «définissant un rôle à chaque strate de collectivités : le bloc communal comme strate des services publics de proximité, le département comme collectivité des solidarités et de la résilience territoriale (en sus de la prévention des aléas climatiques, il s’occuperait aussi de l’eau, des voiries) , la région comme échelon de développement économique et de planification. », en améliorant le fonctionnement de la démocratie locale (par des modes de scrutin directs, en encourageant les citoyens à se porter candidats aux élections locales).

Quant à la confiance entre les collectivités locales et l’Etat, passe notamment par assurer des ressources stables et prévisibles aux collectivités (Sur ce sujet, Eric Woerth veut éviter tout nouvel impôt et propose “d’ancrer dans la loi organique le partage de la fiscalité nationale entre l’Etat et les collectivités territoriales”, en laissant à ces dernières un pouvoir de taux) , un plus grand pouvoir réglementaire « pour librement définir les modes d’organisation et de fonctionnement des missions qui leurs sont confiées ». Toutefois, « L’État territorial doit en particulier être en mesure de les accompagner, en termes financiers et d’ingénierie, mais aussi de les contrôler pour éviter des carences dans le service public […] La complexité de l’action publique doit aussi conduire à reconnaître la nécessité de collaborer entre les collectivités elles-mêmes, et avec l’État, car les compétences des uns ont besoin des prérogatives des autres. Il convient donc d’« agrafer » les strates entre elles en encourageant les synergies locales, grâce à la contractualisation, au chef de filât (4*) et à l’élection d’un conseiller territorial. ». Le retour du cumul des mandats irait dans ce sens car « autoriser un élu à intervenir sur le plan national et dans sa commune permet de retisser du lien entre ces deux échelons et d’assurer un ancrage territorial ».

Il est important de noter que ces propositions suscitent des débats et des critiques (comme la remise en question de l’intercommunalité) , et qu’elles devront faire l’objet de concertations avant toute mise en œuvre éventuelle.

(*) https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2024-05/woerth.pdf

(**) Le premier mouvement de décentralisation a été engagé par François Miterrand qui avait fait le pari que la proximité de l’élu local avec ses électeurs permettra de garantir une action publique plus pertinente et efficace.

(3*) Par exemple, la loi NOTRé de 2015 vqui voulait supprimer les départements à l’horizon 2020

(4*) Le chef de filat, prévu dans la Constitution offre au législateur la possibilité de désigner par la loi une collectivité territoriale chef de file sur une compétence déterminée.

(5*)https://lcp.fr/actualites/decentralisation-les-propositions-d-eric-woerth-pour-retablir-la-confiance-entre-l-etat

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