Le lien
Le lien est la toile de fond, sinon l’armature, de la contribution. C’est pourquoi il occupe une place centrale dans les constructions du vivant et la création des forces de vie. Il joue aussi un rôle essentiel dans nos dynamiques socio-économiques et dans notre capacité à vivre ensemble. Créer du lien c’est forcément créer de la valeur. En détruire revient, à l’inverse, à nous fragiliser en créant de l’anomie(*) sociale.
L’économisme en tendant à marchandiser l’ensemble de nos biens agit, à partir d’un certain seuil de marchandisation comme une force de dissolution sociale : le bien va tendre à détruire le lien, ou tout du moins la transformation d’un bien encastré dans la sphère sociale en un bien marchand va se faire aux dépens des liens qu’il contribuait à établi. Si bien et liens sont nécessaires à nos vies, toute société doit veiller à ce que le premier ne se fasse pas (trop) aux dépens du second si elle ne veut pas s’effondrer.
La meilleure façon de démontrer la force et la nécessité du lien est de nous référer à son rôle dans le développement de notre planète. Grâce à lui, en l’espace de 3,8 milliards d’années, la terre est passée de l’état de caillou doté d’océans à un extraordinaire écosystème au sein duquel la vie n’a pas cessé de se développer, ou de se redévelopper si on tient compte des cinq extinctions de masse déjà connue par notre planète, pour aller vers des formes de vie de plus en plus complexe dont nous sommes le produit le plus avancé (en tout cas de notre point de vue). Dans la nature, comme dans nos sociétés, ce qui fait vie, ce qui fonde la valeur de l’ensemble, ce sont les liens, les interactions transformatrices entre les différents éléments (le développement d’organismes de plus en plus complexes s’est fait sur la base de relations symbiotiques[1]). Plus ces liens sont nombreux, plus les occurrences de combinaisons seront possibles, et plus un système devient potentiellement créateur de nouveaux liens, de nouvelles formes vie et va être en mesure de s’adapter. Dans la nature, tout est question de mesure et d’équilibre. Un écosystème naturel n’a pas de conscience ni de mécanisme centralisé comme le « cerveau » lui permettant d’apprendre. Pourtant il s’adapte spontanément en développant une forme d’intelligence systémique remarquable, dite autopoïétique[2], fondé sur des mécanismes de résilience : fractalilté, diversité, aléatoire, redondances et abondance de liens. Plus la période est instable, plus la diversité et la multiplicité des liens sont nécessaires. L’efficacité et la performance, chères à nos organisations humaines, se sont construites au détriment de la diversité et de bien d’autres principes propres à la résilience, avec tous les dégâts corollaires imaginables (aucun système vivant mature ne fait cela). Pour être résilient, il faut donc accepter de ne pas être en efficacité ou en performance maximale. Vivre ne nécessite pas d’être performant, mais d’abord de résister aux fluctuations d’un environnement incertain. Un autre paramètre participant des mécanismes de la résilience est celui du temps, car le maintien ou la refondation des équilibres ne peuvent s’opérer que sur le temps long. Une forêt peut par exemple s’adapter à une montée très progressive de la température. Par contre, il lui est plus difficile, sinon impossible de le faire dans des délais courts dans des conditions naturelles. Il en va de même pour nos propres écosystèmes (collectifs humains, infrastructures, monde des objets, …), même si nos ingénieries, nos apprentissages, et nos capacités d’innovation peuvent contribuer à réduire ce temps.
(Crédit Images – Open IA – sous licence Creative Commons Attribution 4.0 (CC BY 4.0) )
[1] Ainsi l’être humain, vit en symbiose avec une multitude de micro-organismes comme des bactéries, des virus, des champignons et autres, dont le nombre est supérieur à celui des cellules de notre corps. La vie, et donc l’intelligence dont elle est porteuse, est étroitement dépendante des relations nouées par le vivant au cours de la longue histoire de son évolution. Sans lien entre le vivant, aucune vie complexe, donc aucun développement, n’est possible.
[2] On dit du vivant qu’il est autopoïétique parce qu’ils se génèrent entre eux, se régénère en permanence en lien avec leur environnement tout en maintenant leur structure et leurs orientations.