Les biens communs et les communs
Les biens communs et les communs correspondent à deux faces distinctes et complémentaires d’une même ambition de transformation profonde de nos sociétés au sein de laquelle la contribution des acteurs de la société joue un rôle central.
Ces concepts ne sont pas à confondre avec celle de “bien commun” utilisé dans le langage courant. Comme le dit Wikipédia, ” l’expression est employée dans un sens plus proche de celui d’intérêt général, tel que défini par Rousseau, c’est-à-dire l’intérêt partagé par la communauté, en tant que ses membres dépendent les uns des autres (et non pas la somme des intérêts particuliers) : c’est le bien de tous de façon indivisible, qui peut impliquer de passer outre l’intérêt particulier d’un individu et d’un groupe”
-Pour en savoir plus, voir le § « mettre les “biens communs” au service de notre bien commun » dans l’essai de Jean-Pascal Derumier : “Territoire lieu de vie” –
Les biens communs trouvent leur origine dans le droit romain qui désigne, au travers du terme de res- communes, les choses qui n’appartiennent à personne, mais qui sont à la disposition de tous (donc inappropriables). Dans leur acception moderne, les biens communs désignent « des choses qui représentent une utilité fonctionnelle à l’exercice des droits fondamentaux tout autant qu’au libre développement de la personne[1] ». Ils renvoient à la fois au patrimoine commun à l’ensemble de l’humanité composé de ressources naturelles (l’eau, l’air, les forêts, les océans et autres), aux ressources immatérielles essentielles au développement de nos capabilités (dont en premier lieu les connaissances) et aussi de ressources sociales en lien avec les acquis sociaux propres aux différentes populations (comme, en France, notre système de santé ou de retraite). Leurs défenseurs revendiquent l’instauration de biens communs à l’échelle de l’ensemble de l’humanité pour garantir leur inapropriabilité, leur accès inconditionnel et les maintenir à l’écart de toute forme de marchandisation. A cette fin, ils privilégient le combat politique pour une reconnaissance mondiale et l’instauration d’un droit international.
Le concept des communs, relève d’une longue tradition historique d’accès aux ressources naturelles locales partagées qui s’est heurtée à des mouvements de privatisation et d’enclosures à partir du 15° siècle. Les communs correspondent alors aux ressources naturelles locales (champs, forêts, cours d’eau, …), dont l’accès est réglementé par le droit coutumier, dont chacun peut faire usage et/ou trouver des moyens de subsistance. A l’inverse des biens communs, de par leur ancrage local et la taille raisonnable des collectifs associés, ils peuvent être assez aisément gouvernés. Nous devons la réhabilitation des communs aux travaux d’Elinor Ostrom qui lui ont valu un prix Nobel en 2009. Aujourd’hui, dans leur définition la plus simple, ils renvoient à la pratique collective de gestion d’une ressource pour en assurer sa durabilité et son juste partage sur la base d’un ensemble de règles autoproduites et acceptées par la communauté. Les trois aspects qui, selon Ostrom, fondent un commun sont les suivantes : une ressource ou un système de ressource autour duquel se constitue une communauté ; la propriété partagée de cette ressource et la gestion collective de cette ressource au travers d’une structure de gouvernance. Au-delà et au travers des biens concernés, les communs mettent l’accent sur la dimension profondément sociale des processus de gestion associés. Cette approche est porteuse d’un puissant imaginaire émancipateur et ouvre un nouvel espace de contribution autour de biens collectifs au formidable potentiel économique, social et environnemental. Elle traite des (biens) communs appropriés ou appropriables par des communautés plus ou moins larges.
Ces deux approches correspondent à deux faces distinctes et complémentaires d’une même ambition de transformation profonde de nos sociétés. En dessinant un autre horizon de vie en société, elles constituent une alternative économique et politique pour le 21° siècle en s’opposant à plusieurs tendances majeures de notre époque : la destruction massive du vivant, l’extension de l’appropriation privée des biens de nos sociétés et leur marchandisation croissante, le désengagement des citoyens de la vie publique.
Ces deux notions se distinguent toutefois par leur échelle, leurs logiques d’actions associées et leur maturité. L’une revendique en effet l’instauration de biens communs à l’échelle de l’ensemble de l’humanité en privilégiant le combat politique pour une reconnaissance mondiale et les enjeux juridiques associés. Cette ambition reste encore largement un horizon à atteindre, car les biens communs se caractérisent aujourd’hui par leur absence de gouvernance. L’autre approche traite des (biens) communs appropriés ou appropriables par des communautés plus ou moins larges (voir article ” En confiant la forêt à des communautés forestières, le Népal met fin à la déforestation”). Le cœur de sa réflexion porte sur les modalités de gestion (protection, production, …), d’organisation (auto-organisation) et de gouvernance alternatives à celles proposées par le marché et l’état. Pour Dardot et Laval, dans leur livre Communs – Essai sur la révolution du XXI° siècle (Cf. Bibliographie Générale), le commun doit être posé comme un principe politique, car il porte la contestation de l’ordre actuel en désignant des lignes de front et des zones de lutte où se joue la transformation démocratique de nos sociétés. Une transformation radicale appelant à passer d’une forme démocratique délégative à une forme active au sein de laquelle chacun (re)devient acteur de la construction du bien commun en faisant corps avec la société … avec tout ce que cela comporte d’attention, d’empathie de convivialité et de liberté pour agir au plus juste d’une situation.
Ces deux concepts posent une question essentielle : dans un monde globalisé où l’économique régit tout (ou presque), l’état est-il le meilleur garant de la juste gestion de nos biens communs ? Dans une société où l’état tend à aligner ses méthodes de gestion sur celle du privé, est pris en otage par la logique économique et doit régulièrement sacrifier sa mission sociale sur l’autel des exigences du marché, il est difficile de répondre par l’affirmative.
[1] Définition donnée par la commission Rodotà en Italie.