Economisme
L’économisme nous dit Wikipédia est « un système d’analyse qui tend à tout expliquer par le jeu de facteurs économiques, ou par des concepts économiques. Péjorative, l’expression est aussi utilisée pour critiquer la science économique comme n’étant qu’une idéologie ».
En nous en remettant aux économistes pour développer nos sociétés nous nous sommes laissés aveuglés par une rationalité instrumentale et tombés dans le piège de l’économisme dont les travers du capitalisme sont le cancer. C’est par lui que nous avons été amenés à faire de la science économique la boussole de notre développement en mettant ses enjeux au-dessus des nécessités sociales et surtout écologiques. Sous son impulsion, pour reprendre l’expression de l’économiste Karl Polanyi, « l’économie s’est désencastrée du social et de l’environnemental ». Les maux de l’économisme sont les conséquences de ce désencastrement. L’économie ne peut en effet se suffire à elle-même. Elle dépend de facteurs sociaux et environnementaux qu’elle est justement en train de détruire par son aveuglement et sa quête sans fin de performance. Les désordres écologiques liés à notre productivisme effréné et à notre consumérisme ont sifflé la fin de la partie et nous imposent un autre rapport au réel.
On ne sauvera pas notre planète des travers de l’économie par toujours plus d’économie, mais en développant de nouvelles formes de valeur non monétaires à partir des ressources sociales et environnementales. Si l’économie restera sans doute l’outil d’affectation des ressources physiques et de gestion de nos capitaux financiers le plus pertinent, il reviendra à l’écologie de décider de ce qui est possible et au social de refonder les liens à la base de notre cohésion sociale et de nos solidarités collectives. La donne écologique longtemps éclipsée par le couple économique et social, a fait une entrée politique fracassante.
Notre approche par trop économiste du calcul de notre richesse nous a par ailleurs enfermés dans un faux dilemme : la croissance ou la décroissance. Or, si la décroissance est philosophiquement juste, elle reste psychologiquement peu audible par une grande majorité des citoyens qui y associent spontanément les termes de privation ou régression[1]. Pour le plus grand nombre, le terme décroitre est compris au sens commun du terme, c’est-à-dire pour le contraire de croitre ou de la croissance négative.
Le sens politique qu’en donne Timothée Parrique dans son livre Ralentir ou périr (cf. Bibliographie Générale) n’apparait pas spontanément : « la décroissance est une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être […] c’est une économie stationnaire en relation harmonieuse avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées pour pouvoir prospérer sans croissance ». Derrière la décroissance il y a un nouveau projet de société de “post croissance”, prenant acte des limites d’une économie désencastrée du social et de l’environnemental qui passe par la construction d’un nouvel imaginaire social en rupture avec l’idéal de consommation et d’individualisme véhiculé par le capitalisme.
Selon l’explorateur et environnementaliste Bertrand Picard, une troisième voie plus spontanément audible existe : la croissance qualitative. Cette dernière devrait nous permettre, en mettant la focale la part positive de notre économie, d’orienter nos efforts économiques vers les nécessités de la métamorphose : encourager les activités peu consommatrices de ressources et peu polluantes, la production d’énergie renouvelable, d’économiser de l’énergie (négawatt), la production de matériaux propres et autres. Autrement dit, elle encouragerait une croissance qualitative tournée vers nos besoins essentiels en provoquant, dans le même temps, la décroissance des activités et pratiques anti écologiques contraires aux enjeux de la métamorphose (activités sur lesquelles il s’agirait bien sûr de légiférer pour les rendre plus difficiles à exercer et en accélérer la décroissance). Si l’on prend l’exemple de l’agriculture, on voit facilement en quoi un indicateur de croissance qualitative pourrait contribuer à transformer nos pratiques en poussant l’agroécologie et en stigmatisant les approches industrielles fondées sur la mécanisation à outrance et les entrants chimiques. Mais quid aujourd’hui de la croissance qualitative, car elle nous obligerait à distinguer la bonne de la mauvaise croissance … et ferait mécaniquement chuter notre PIB en faisant de la décroissance sans le dire ? Une hérésie pour tout économiste orthodoxe.
(Crédit Images – Open IA – sous licence Creative Commons Attribution 4.0 (CC BY 4.0) )
[1] C’est pourquoi beaucoup de ceux convaincus de cette nécessité rechignent à utiliser ce terme. Par exemple, l’économiste Jean Gadrey va plutôt parler d’”accroissance”, ou Dennis Meadows, l’auteur du rapport du même nom sur le limites de la croissance, de “société mature”.